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PARIS : Remise du Prix Littéraire de La Renaissance Française le 6 Décembre 2018 à Hoaï Huong Nguyen

par Christian OLIVE

Le prix littéraire de La Renaissance Française 2018 attribué le 15 novembre à Madame Hoaï Huong Nguyen a été remis
au restaurant Les Editeurs le 6 décembre, en présence du Chancelier Gabriel de Broglie de l’Académie française.

Après les discours du Chancelier, du Président international de La Renaissance Française et de la lauréate, un cocktail a réuni les nombreux amis présents.

Le prix est remis chaque année à l’oeuvre écrite en français d’un écrivain dont le français n’est pas la langue maternelle.

Discours de Denis Fadda, Président International

Madame,

Vous avez trouvé la langue vietnamienne dans votre berceau, et vous êtes née plus tard à la langue française ; elle vous a conquise. Votre amour pour cette langue est perceptible tout au long de ce très beau roman Sous le ciel qui brûle qui nous réunit ce soir, puisqu’il vous a valu le Prix littéraire de La Renaissance Française 2018.

Le héros de votre livre, Tuân, à l’école communale, tombe amoureux du français. Alors qu’il est en classe de huitième il découvre la Comtesse de Ségur et lit ses ouvrages avec passion. Tout lui semble d’un grand exotisme ; les enfants occidentaux boivent du lait, cueillent des fraises, jouent du piano et font du théâtre… Il aime sans mesure ces histoires d’enfance. Plus tard il comprendra que c’est surtout la langue admirable de la Comtesse, une étrangère comme lui, qui l’avait touché. Si cette femme russe a pu écrire en français, peut-être le pourra-t-il aussi.

Le narrateur n’a que 14 ans, et il enseigne déjà le français à sa cousine Tiên âgée de huit ans. De ces leçons va naître une grande complicité. « Le français devient pour eux un terrain de jeu partagé ».

Et c’est en français que sera scellée leur amitié au moment où le père de Tiên décidera du départ pour le Nord en guerre : « Votre père vous emmène là où il y a la guerre, il veut se battre et je ne comprends pas ce qu’il veut faire de vous, il ne faut pas vous
inquiéter, nous nous retrouverons ».

C’est à cette époque que Tuân commence à écrire et que, tout naturellement, il le fait en français quitte à passer pour un traître.

La langue française, l’écriture, la poésie vont lui permettre de traverser les épreuves terribles qui l’attendent.

Lorsque après les horribles massacres de la fête du têt, en Annam, à Huê, en 1968, il doit tout seul enterrer des êtres infiniment chers, il se récite le poème de Rimbaud à Ophélie, persuadé que la magie des vers rendra leur disparition moins définitive : « sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles …» ou bien
« Les saules frissonnants pleurent sur son épaule
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux… » ou encore
« Un chant mystérieux tombe des astres d’or ».

Ces vers l’ont préservé de la folie.

Pour lui, la poésie française exerce une fonction salvatrice. Seule la poésie « pouvait raviver la flamme de regards éteints, rosir les traits d’un vieillard, et rendre justice à une petite fille volée à l’avenir ».

Il aime la musique des poèmes de Mallarmé, même s’il avoue ne pas toujours en comprendre le sens mais c’est à la poésie de Gérard de Nerval qu’il s’attache passionnément. Dès qu’il se met à l’écriture, il recherche une forme qu’il veut aussi pure que celle des Odelettes découvertes dans le recueil des Poésies de Nerval, toujours près de lui. Lorsqu’il lit pour la première fois Les Filles du feu, il est transporté.

Il s’enthousiasme non seulement pour les personnages mais aussi pour les lieux de la jeunesse de Nerval : « les forêts du Valois, sa campagne verdoyante, ses rivières limpides, ses fleurs sauvages, ses châteaux aux vitraux vermeils, ses nuits éclairées de mystère… et il se passionne pour leurs noms : Oise, Thève, Senlis…

Ce n’est évidemment pas un hasard si votre livre commence par une promenade dans la forêt de Chantilly, route de Sylvie, et se termine aussi dans cette forêt, route des Tombes et Château de la Reine-Blanche, étangs de Commelles.

La nature, les arbres, les plantes, les fleurs, les couleurs tiennent une large place dans votre ouvrage.

Vous écrivez : « Son cœur ressemblait aux impatientes de Balfour, ces fleurs communes du Valois dont les pétales roses sont couronnés d’un casque blanc renfermant le pollen. Sur les tiges, les fruits ont la finesse de fils de lin, qui s’épaississent à mesure que leurs gousses se gonflent de graines… ».

Un plaqueminier, arbre centenaire, joue un rôle important. Il se trouve dans le jardin du grand-père tant aimé de Tuân. Haut de vingt mètres, « il avait un énorme tronc entrelacé d’orchidées blanches ; à l’automne, son feuillage devenait écarlate et se chargeait de fruits sucrés », « chaque nuit, il semblait s’animer, ses branches craquaient et murmuraient sous le vent ». La puissance de cet arbre impressionne. Aussi le dit-on habité par les esprits errants et la famille qui le possède est enviée et aussi jalousée ; on murmure qu’« elle a réussi à apprivoiser les morts » !

L’ouvrage est fort bien construit et rédigé dans un style sobre, d’une écriture fluide et souvent poétique ; vous êtes d’ailleurs auteur de deux recueils de poésie : Parfums et Déserts.

Un exemple : « L’averse s’était soudain remise à tomber. Tuân se réfugia sous un aulne près du château. A ses pieds les feuilles de l’automne formaient un tapis de dentelles et de déchirures qui verrait bientôt la naissance de nouvelles pousses. Sur l’étang le reflet des arbres était troublé par mille gouttes qui s’abattaient avec force. Elles jouaient une musique végétale dont le rythme accompagnait le mouvement des oiseaux qui s’y étaient posés et glissaient en laissant derrière eux un sillon argentin. Tout cela formait un tableau vivant d’où il s’élevait une joie qui avait l’odeur fraîche d’un cahier aux pages blanches ».

Votre livre a déjà reçu un prix. Votre premier roman avait aussi reçu des prix amplement mérités ; pas moins de cinq. L’ombre douce, est un ouvrage bouleversant.

Sous le ciel qui brûle dont le fil conducteur est la marche du narrateur dans la forêt de Chantilly est, en réalité, un pèlerinage dans la mémoire où se mêlent mémoire collective, mémoire intime et mémoire littéraire. Comme dans la grande œuvre proustienne, le narrateur connaît, in fine, le salut. C’est le moment où il croise le regard souriant et confiant d’une petite fille sautillant sur le chemin, une jonquille à la main.

Lui qui demeure hanté par l’image des derniers instants passés avec sa jeune cousine partant pour le nord dont elle ne reviendra jamais, lui qui a vu « les étoiles se décrocher les unes après les autres » en perdant tragiquement tous les êtres qu’il aimait, il voit son désespoir se métamorphoser en un devoir à accomplir, celui de « raccrocher les astres au ciel pour rendre la vie à ceux qui l'(ont) perdue ». Ce devoir est celui de l’écriture, de l’écriture rédemptrice ; celle qui permet de transformer la révolte en acceptation, la déréliction en joie ; « la joie est la fleur du courage » nous dit Marguerite Yourcenar.

Dans cette tonalité empreinte de douceur et irriguée par l’esprit de poésie, Sous le ciel qui brûle est une œuvre de paix, d’apaisement, de pacification avec soi-même et avec le monde.

Je souhaite longue vie à ce roman si touchant, en même temps livre d’histoire, car il nous fait traverser de la guerre d’Indochine à la guerre du Vietnam en nous faisant vivre la partition du pays et sa réunification.

Je remercie les éditions Viviane Hamy qui l’ont publié. On ne remercie jamais assez les éditeurs.

Et je félicite vivement le jury – dont certains des membres sont présents ce soir – et son président René Le Bars pour le choix très judicieux qui a été fait.

jjk_3100.jpg © JJ Kelner

Remerciements de Hoaï Huong Nguyen
Lauréate du Prix Littéraire de La Renaissance Française 2018
pour son roman : Sous le ciel qui brûle chez Viviane Hamy Editeur.

J’aimerais remercier :
– La Renaissance Française, Monsieur Denis Fadda son Président international pour sa lecture si attentive et bienveillante de mon roman, les membres du jury, et son président Monsieur le Bars, de l’avoir élu lauréat.
– Merci à ma maison d’édition, à Viviane Hamy, parce qu’un livre correspond à un travail d’équipe. Un grand merci à Viviane, Nicolas, Typhaine, car leur travail offre un cadeau inestimable à un auteur – lui permettre d’être lu et d’aller à la rencontre du public.
– Merci à vous tous ici de votre présence.

Je voudrais vous dire que je suis particulièrement touchée par ce prix qui récompense un auteur dont la langue maternelle n’est pas le français.

– C’est bien mon cas puisque mes parents sont nés vietnamiens, et que j’ai appris le français à l’école.
– Il se trouve que c’est aussi le cas de Tuân, le héros de mon roman Sous le ciel qui brûle. Car Tuân est un Indochinois, fasciné par la poésie française, qui décide d’écrire en français – ce choix étant l’expression de son amour pour cette langue et sa littérature.

L’itinéraire de ce personnage témoigne d’une humilité devant la langue, la littérature qu’il me tient à cœur de souligner.

En effet, quand on choisit, comme le fait Tuân, d’écrire dans une langue qui n’est pas la sienne à l’origine, on l’aborde rarement en disant : « Je serai Châteaubriand ou rien ». Ce n’est pas le cas de Tuân en tout cas. Comme il le dit à Eliane dans le livre, il ne commence pas à écrire en se disant qu’il sera « Rimbaud ou rien »… Il pourrait s’approcher du « Rien » plutôt que des Illuminations.

Tuan ne s’imagine pas tout d’abord en terre conquise : il arrive en hôte, en invité, d’une langue et d’une littérature, qu’il parcourt comme une terre étrangère. Cette terre inconnue, il la découvre en visiteur, en explorateur. Et s’il arrive qu’il y pose ses bagages, (car Tuân choisit l’exil en France, dans le Valois de Nerval), lorsqu’il s’essaie à l’écriture, il ne se dit pas qu’il va construire tout seul une cathédrale de mots ; mais son projet poétique tend plutôt vers un château de sable.

Dans le roman, on trouve une scène dans laquelle Tuân observe des enfants jouer à faire des châteaux de sable sur la plage, des châteaux qui seront recouvert par la mer avant la fin du jour.

C’est une image de ce qu’est pour lui l’écriture : comme les enfants s’amusent avec le sable mouillé, les coquillages, les algues, les petits morceaux bois… Tuân se plonge dans un patient travail sur les mots, les verbes – temps et modes, la ponctuation, les structures de phrases – leurs sonorités, leur sens si différents de ceux de sa langue maternelle… Et c’est ainsi qu’il peut espérer qu’à un moment béni le sable tienne en un château éphémère. C’est l’alchimie qu’il recherche (pardon pour le terme rimbaldien, surdimensionné pour Tuân et moi). Mais, ce qu’il recherche, c‘est la magie à l’œuvre dans la poésie ou le roman – et qui fait qu’à un instant, les mots vont d’eux-mêmes – échappent à leur auteur. Alors, ils font apparaître un château d’un jour, d’une heure, qui se sera tenu debout fragile devant la mer, même s’il doit être emporté très vite par les flots.

Merci d’avoir distingué la démarche de Tuân de ce prix qui porte le beau nom de Renaissance. Car, pour lui, l’écriture correspond à une vraie renaissance à la vie.

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